Elle possède.
Elle envahit.
Au-delà des mots, au-delà de toute intelligibilité.
Elle s’impose à nous.
Elle emporte, elle transporte, elle transforme.
Elle est le goût, la couleur, la musique, le relief de notre vie.
L’émotion.
Une araignée court sur le carrelage.
Surgie de nulle part, une chaussure s’écrase avec violence sur elle, la rendant au néant.
L’araignée…
Soulagement.
La peur, teintée de dégoût, s’évanouit doucement.
L’araignée est morte, emportant avec elle l’émotion désagréable qu’elle avait violemment provoquée.
Pourtant, élaborée au tréfonds de votre inconscient, cette émotion est la manifestation physique de l’expérience de vos ancêtres et de votre propre histoire, de ce que vous avez vécu ou de ce que vous avez vu d’autres vivre.
Cet assemblage baroque et bancal, nourri autant de vérités que de fausses menaces, mélangeant l’important et le futile, le réel et l’imaginaire, le rêve et le cauchemar, tente archaïquement de vous dire quelque chose.
Un message personnel
Devant la même scène, certains seront révoltés, d’autres peinés ou en colère, d’autres encore tristes et atterrés, voire même totalement impassibles ou froids.
Chacun son histoire, chacun ses gènes ; la réaction touche à l’intimité.
Elle est l’écho de ce qui se passe en vous. Elle est votre résonance propre.
Votre vibration personnelle à ce qui advient.
Et c’est cette vibration qui a un sens, ce message personnel qu’il faut apprendre à écouter, apprendre à entendre.
Laissez donc s’écouler le fluide en vous, et ressentez.
La main levée, prête à s’abattre pour ôter la vie, suspendez le temps, et autorisez-vous à vivre ce qui vous émeut. Attardez-vous sur les sensations pour en saisir toutes les subtilités, puis tentez de chercher le message sous-jacent.
Pourquoi la vue de personnes âgées me fait-elle pleurer à chaudes larmes ? Pourquoi le fou rire de mes enfants m’agace-t-il ? Pourquoi suis-je autant en colère lorsque l’autre est en retard ? Pourquoi donc ce tout petit être velu à huit pattes m’angoisse-t-il à ce point ?
Prendre le temps
Agir sur l’extérieur pour tenter de contrôler une émotion intérieure, c’est subir son émotion, la rendre maître de nous, agir sous ses ordres.
Être esclave de ses émotions, c’est leur accorder tout pouvoir dans nos actions.
“Il ne faut ni dominer, ni subir ses émotions, il faut d’abord s’autoriser à les vivre”1
Pire : agir sur l’extérieur pour stopper l’émotion vous empêche de la vivre pleinement et d’en comprendre le message. Agir, c’est prendre le risque de passer à côté de tout un univers.
Alors, sauf vrai danger immédiat, prenez le temps de faire le tri dans cet immense désordre. Retournez votre regard intérieur, et confrontez-vous à la véritable source de vos émotions : l’ensemble de vos passés.
Miroir de l’âme
Car détrompez-vous, ce n’est pas l’autre qui vous met en colère, ce n’est pas l’autre qui vous agace, qui vous fait peur. Ce n’est pas l’autre qui vous irrite, ou au contraire vous met en joie…
L’autre n’est que le réceptacle sans consentement de vos désirs, incarnation matérialiste de ce que vous ressentez. Il est juste un furtif miroir, vous donnant à voir l’état de votre âme
Or, accusez-vous le miroir de l’image qu’il vous renvoie ?
Fût-il cassé, il ne changera rien à ce que vous êtes.
Sentez l’instant où l’émotion prend votre corps, et résistez à l’envie d’en vampiriser l’autre. Ecoutez-là, ne l’ignorez pas : elle est pour vous un message personnel et important.
Il faudra peut-être que vous changiez, que vous partiez ; il faudra peut-être expliquer, discuter, travailler…. Mais ce sera alors votre choix réfléchi, et non le fruit d’une pulsion primitive visant à stopper ce qui vous assaille.
Une réciprocité bienveillante
Vous apprendrez alors à vous libérez de vous.
Mais cela ne sera pas suffisant.
Car il vous faudra également apprendre à vous libérer des autres.
Vous êtes en effet vous aussi, souvent ou parfois, l’araignée.
Votre propre corps est constamment assailli, investi, possédé par les milliers d’émotions que les autres projettent sur vous.
Vous incarnez à votre corps défendant leur agacement, leur désir, leur énervement, leur colère, leur joie, leur tristesse, leur dégoût, leurs envies…
Mais pas plus qu’ils ne sont responsables de vos émotions, vous n’êtes responsables des leurs.
Rangez votre chaussure.
Demandez aux autres de ranger leurs chaussures.
A chacun de se regarder enfin en face, dans cette réciprocité où l’autre vous donne simplement l’opportunité d’apprécier qui vous êtes.
1 : Saverio Tomasella.
Texte directement inspiré de la vidéo : « Et tout le monde s’en fout #3 – Les émotions -«