
“Un oiseau posé sur une branche ne craint jamais que la branche cède, parce que sa confiance n’est pas en la branche, mais en ses propres ailes.”
En effet, un jour il se jette dans le vide et se laisse naturellement porter par le vent.
Qu’importe finalement la branche, l’oiseau sait voler ; c’est en lui.
Et comme lui, j’y ai cru.
J’ai cru que c’était en moi et qu’il suffisait que je m’entraîne.
Ces ailes à découvrir, ces ailes à développer, pour un jour les déployer et prendre enfin mon envol.
Ne plus jamais avoir peur du vide, ni que la branche ne cède ; avoir confiance en mes propres ailes, avoir confiance en moi.
J’ai tenté de m’élancer de nombreuses fois.
Quelques fugaces vols improbables et frêles vinrent alimenter mon espoir.
Je redoublais d’efforts.
Vainement ; m’écrasant violemment au sol bien plus que de raison.
Immuable vertige, j’en avais finalement fait mon partenaire quotidien.
Pourtant, il m’arrivait encore de continuer à l’imaginer, lui, celui que je me représentais, fort, et rempli de confiance en lui.
Face à une foule immense, je le voyais se tenant là, sûr de lui, s’exprimant avec élégance et émotion.
Je l’admirais, fantasmais son aisance et son éloquence.
Et toujours, je tentais de me sentir à sa place, imaginant ce que je pouvais être de lui, imaginant comment je pouvais être lui.
Ouvrant grands les bras, sentant le vent, essayant de saisir quelques fragments de son art.
Sans jamais y parvenir.
Jusqu’à ce jour où, au cours de l’une de ces rêveries, je fus surpris par quelques éléments nouveaux.
Cela arriva juste avant qu’il ne prenne la parole : une ombre sortie de nulle part s’approcha de lui et glissa doucement à son oreille : “le public est armé et il n’hésitera pas à te tirer dessus à la moindre erreur »
Et je le vis changer brusquement du tout au tout. Apeuré, angoissé, perdu. Il ne put émettre le moindre son, baissa la tête, se retourna les ailes atrophiées, puis se retira.
Pour la toute première fois, nos émotions étaient synchronisées : il ressentait enfin ce que je ressentais.
La scène s’éteignit alors, et tout s’éclaira en moi : il est vain d’essayer de croire en ses ailes quand on est persuadé que l’on vit entouré de chasseurs.
Ce qui l’avait empêché de prendre la parole n’était pas la représentation qu’il se faisait de lui-même, mais celle qu’il se faisait de l’Autre.
Ainsi, je m’armais parce que j’imaginais que j’allais devoir me défendre. Je me barricadais, parce que je pensais qu’on allait m’attaquer. J’affûtais mes lames, je renforçais mon armure, bombais le torse ; je me préparais au combat.
Je ne faisais qu’entraver mon vol et aggraver mes chutes.
Alors, qu’à l’inverse, je devais me mettre à nu, me dépouiller de mes artifices, m’alléger pour mieux voler.
Vivre, ressentir, appréhender et accepter cette vulnérabilité. Croire en l’Autre, seul soutien véritablement capable de faire portance.
Car, et ce fut ce que j’appris ce jour, ce n’était absolument pas de confiance en moi dont je manquais, mais de confiance en l’Autre.
Ce n’était pas sur ma propre représentation que je devais travailler mais sur celle de l’Autre.
« Je m’offre à vos armes car j’ai profondément confiance en vous… »
Alors, à tous les enfants de la terre je dirais :
“Vas-y, passe à l’acte et trompe-toi, c’est comme ça que l’on apprend.
Parle aux gens que tu ne connais pas, nourris-toi de l’altérité, accepte le conflit.
Tu es vulnérable, mais la souffrance est toujours passagère. Apprends à vivre ces émotions avec tendresse et humour.
Rends-toi compte que l’on ne meurt pas de faire une erreur, et que dans tous les cas, il est toujours possible de rebondir, toujours possible de se relever….
Et surtout, surtout, si tu tombes ; je t’assure que quelle que soit la foule, il y aura toujours quelqu’un qui sera le vent qui te portera.
Enfin, si à l’inverse tu aperçois quelqu’un qui tombe, ne t’écarte pas, nourris sa confiance en l’Autre : sois le vent qui le porte”